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Gaucho

 

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Baradero Paulina Savoy

 

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Baradero Maurice Savoy

 

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Arturo Gomez Savoy et Martin Nicoulin

 

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Accueil devant la mairie

Le pont reconstruit

«On ne se rendait pas compte, en lançant en 1990 l'idée d’un voyage en Argentine (le premier à Baradero, avec 80 lecteurs de «La Gruyère»), des ondes de choc qu'il ferait naître. (...) Il ne s'agit pas de charité, mais de partage entre frères que seuls le temps et la distance séparaient. De partage entre égaux en humanité qui construisent, de part et d'autre, leur pile du pont».

 

«La Gruyère» avait repris le fil de l'histoire en 1988, avec l’historien Martin Nicoulin. Le journal relatait sa «redécouverte» de Baradero, colonie postérieure de quarante-cinq ans à celle de Nova Friburgo, au Brésil. Et d’interroger : «Jettera-t-il un jour un nouveau pont, entre Fribourgeois d'ici et d'Argentine ?»...

 

Les émigrés veveysans avaient longtemps entretenu le premier pont établi par eux dès 1856, année de la fondation de la «Primera colonia agricola del pais» à Baradero. Les trois douzaines de pionniers étaient tous issus de familles de la Veveyse fribourgeoise, les Genoud, Liaudat, Colliard, Cardinaux et Chollet, embarquées en octobre 1855 à Anvers sur le voilier «Le Progrès». Subside de départ, communal sinon royal : 25 francs par tête. Prime d'arrivée argentine pour chaque famille : une terre à défricher...

 

Vers 1880 débute la grande période d'immigration: 4,5 millions d'étrangers, Européens notamment, gagneront l'Argentine. En 1882, on compte 903 Suisses parmi les 2590 habitants de Baradero. Le Châtelois Emilio (Emile) Genoud est l'initiateur et premier président de la Société suisse de Baradero, de 1892 à 1898 (une rue de la ville porte toujours son nom). Du canton de Fribourg, les émigrations se succèdent jusque dans les années 1920.

 

L'Argentine est alors la huitième puissance économique mondiale. Plus dure est la chute : la crise entrave bientôt les voyages en Europe. Rentrer au pays natal? Un rêve, mais avec sa terre... Cauchemar au réveil: mains vides. La peine de survivre aux déboires se suffit à elle-même. On n'en ressasse pas volontiers le récit: les liens épistolaires s'espacent, s'appauvrissent eux aussi. Quand toute vaillance investie, la plupart triomphent, des générations ont passé, et l'oubli avec elles.

 

 

Pauline-Louise Savoy-Peney «chez elle» à Baradero

Lors du voyage exploratoire à Baradero de Martin Nicoulin, Michel Gremaud et Yves Dubuis, en janvier 1991, les fils ténus de la mémoire sont renoués. Sur les terres qui furent attribuées aux premiers immigrés veveysans de 1856, une maison enfouie dans la végétation luxuriante. Et une délicieuse dame de 86 ans, Paulina-Luisa Savoy-Peney, l'une des dernières arrivées à Baradero.

 

Pauline-Louise raconte sa venue avec son mari Maurice Savoy, diplômé de l’Institut agricole de Grangeneuve en 1919. «J'avais 23 ans, mariée avec deux enfants et demi. Il a fallu apprendre l'espagnol. Maurice faisait de tout: employé de magasin, transporteur de céréales avec le camion qu'il avait acheté. Tout près, il y avait des Savoy, des Favre, des Lavanchy, des Liaudat. Le dimanche, nous allions en char à l'église de Baradero où l'orgue était tenu par un nommé Bard. Et quand c'était fête, nous avions des parilladas monstres à la Casa suiza. J'ai toujours correspondu avec ma sœur en Suisse. Pour la revoir, je suis revenue une seule fois, soixante ans après. J'ai aussi visité Attalens, le village de mon mari. Après quelques jours, je n'avais qu'une envie: rentrer chez moi, en Argentine. J'ai neuf beaux-fils argentins, une cinquantaine de petits-enfants et déjà un arrière-arrière-petit-fils».


C’était en 1991. L'aïeule s'exprimait dans sa langue maternelle, sans hésitation. Grâce à elle, son entourage comprenait un peu le français. Le 5 janvier 1999, le cercle de famille a fêté les 95 ans de Paulina-Luisa.


 

De braise les retrouvailles

Quand 80 lecteurs de «La Gruyère» s'envolent en octobre 1991 pour l'Argentine, le Paraguay et le Brésil, ils n'imaginent pas la réception que Baradero leur réserve. Echappés de l'aigre automne suisse, ils plongent dans le printemps de l'hémisphère sud. La chaleur humaine des Argentins de toute origine dynamise l'enthousiasme des retrouvailles.

 

Depuis le voyage exploratoire de janvier 1991, Baradero et sa Société suisse ont sonné le réveil. Si les descendants des armaillis émigrés en 1856 ont oublié français et patois, la langue du cœur illumine leurs gestes. En costumes «à la suisse», ils marient le bleu et le soleil du drapeau argentin au rouge à croix blanche. Les étendards flottent à la selle des gauchos. A la «Casa suiza» où les souvenirs des pionniers sont exposés, les paroles de bienvenue croustillent comme les grillades de bœuf. L'accueil des familles de Baradero achève de ravir les visiteurs confus d'être arrivés les mains vides, ou presque.

 

Sous la braise les racines, et de quelle vigueur ! Sitôt rentrés en Suisse, les voyageurs se cotisent afin de renouveler le mobilier de l'ancienne école, située à l'écart de la ville. La Châteloise Irma Cardinaux avait découvert avec émotion ces lieux que lui décrivait sa mère née Marie Berthoud, arrivée à Baradero en 1903 avec 22 parents, l'année de ses 7 ans. «Devant l'école, il y avait une perche pour attacher les chevaux. Tu me diras si elle y est encore. Il nous fallait trois quarts d'heure pour aller à l'école, à trois sur le même cheval», avait dit Marie alors âgée de 95 ans, qui allait s'éteindre l'année suivante. La perche était toujours devant la pauvre école où Marie avait fait ses classes en espagnol. En 1913, à 19 ans, elle était rentrée au pays, suivant son père qui s'ennuyait en Argentine: l'un des rares retours, encore économiquement possibles à cette époque. Mais le souvenir des onze ans passés à Baradero restait gravé à jamais.

 

Fribourg-Baradero : une association dès 1992

Pour pérenniser les échanges, l'Association Fribourg-Baradero est fondée en 1992, à Romont. Son siège est établi à la Maison St-Joseph, à Châtel-St-Denis. Seules ressources ordinaires, les cotisations des membres et le bénévolat des responsables. Pas à pas, des initiatives se concrétisent. Institutrices frais émoulues de l'Ecole normale de Fribourg, Martine Ducrest et Audrey Studer donnent à Baradero des cours de français gratuits, prisés par 200 Baradériens. Des stages professionnels dans le canton de Fribourg sont offerts à des jeunes de Baradero.

 

En 1993, «sommet» suisso-argentin à Attalens (Veveyse fribourgeoise), avec une exposition «Nos ancêtres en Argentine». Parmi 300 personnes, une centaine de Savoy d'Europe et d'Amérique. Arturo Gomez-Savoy, alors président de la Société suisse de Baradero, en pleure d'émotion. En hommage à ses ancêtres, Pierre Savoy et Marie Liaudat, il offre une plaque en bronze rappelant leur départ d'Attalens au milieu du XIXe siècle.

 

En 1995, deuxième voyage de lecteurs de «La Gruyère» à Baradero, même accueil chaleureux. En 1999, mission du jeune historien fribourgeois Christophe Mauron qui scrute les archives de Baradero et suscite les témoignages pendant quarante jours. Premier fruit, son ouvrage«L’armailli et le gaucho – De los Alpes a la Pampa» et une exposition inaugurée en novembre 1999 à Baradero avant d'être présentée à Châtel-Saint-Denis et à Fribourg en 2000.

 

L'association fribourgeoise a sa pareille en Argentine, basée à la «Casa suiza» de Baradero, qui accroît les activités régulières de la Société suisse. Idée force, le progrès d'une double identité culturelle d'abord. Voilà où gît l'enrichissement mutuel. Au départ, l'intuition d'un historien. En 1991, la rencontre du frottoir et de l'allumette. A l'arrivée ? Il n'y a pas d'arrivée, il y a les deux piles d'un même pont à renforcer, une double renaissance à poursuivre. Une utopie qui est la réalité de demain.

 

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